L’hyperphagie boulimique, c’est quoi ?
L’hyperphagie boulimique (HB) est un trouble alimentaire aussi connu sous le nom de binge eating disorder, boulimie sans vomissement ou compulsion alimentaire grave. On définit ce trouble alimentaire par une prise compulsive et en grande quantité de nourriture dans un temps réduit et sans comportement compensatoire.
Selon le Manuel Diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM 5), l’HB est définit de la manière suivante:
- Épisodes récurrents de crises de boulimie (« binge eating »). Un épisode est caractérisé par les deux éléments suivants: absorption, en une période de temps limitée (par exemple, en 2 heures), d’une quantité de nourriture largement supérieure à ce que la plupart des gens mangeraient dans une période de temps similaire et dans les mêmes circonstances; sentiment d’une perte de contrôle sur le comportement alimentaire pendant l’épisode (par exemple, sentiment de ne pas pouvoir s’arrêter de manger ou de ne pas pouvoir contrôler ce que l’on mange ou en quelle quantité).
- Les épisodes de boulimie sont associés à 3 des caractéristiques suivantes (ou plus): manger beaucoup plus rapidement que la normale; manger jusqu’à se sentir inconfortablement plein; manger de grandes quantités de nourriture sans ressentir la faim physiquement; manger seul parce qu’on se sent gêné par la quantité de nourriture que l’on absorbe; se sentir dégoûté de soi-même, déprimé ou très coupable après avoir trop mangé.
- Le comportement boulimique est la source d’une souffrance marquée.
- Le comportement boulimique survient, en moyenne, au moins une fois par semaine depuis 3 mois.
- Le comportement boulimique n’est pas associé à l’utilisation récurrente de comportements compensatoires inappropriés comme dans la boulimie mentale et ne survient pas exclusivement durant au cours d’une boulimie mentale ou d’une anorexie mentale (« anorexia nervosa »).
Qui souffre de ce trouble alimentaire ?
On retrouve l’HB autant chez les hommes que chez les femmes. En effet, statistiquement selon le DSM-5, la prévalence serait de 1,6% chez les hommes et de 0,8% chez les femmes.
Nous pouvons noter que beaucoup de personnes se sont déjà retrouvés face à un épisode d’HB dans leur vie. Pour autant, cela devient pathologique lorsque la récurrence est élevée et peut devenir sévère lorsqu’elle atteint jusqu’à 14 épisodes ou plus par semaine.
Les personnes qui souffre de ce trouble sont la plupart du temps en surpoids et en obésité et sont souvent sujettes à des variations de poids. En effet, du fait de ne pas utiliser de méthodes compensatoires, telles que des vomissements, elles ne parviennent pas à maintenir un poids stable. L’HB survient très souvent à l’âge adulte et se retrouve en lien avec le suivi de plusieurs diètes restrictives qui ont entraîné de nombreuses frustrations et compulsions.
Le mécanisme de l’hyperphagie boulimique
On retrouve de nombreux facteurs dans le déclenchements et le maintien des crises d’HB. En premier lieu, des facteurs de stress tels que des événements de vie difficiles, le travail, l’école ou la famille peuvent conduire la personne à une fragilisation de soi. De plus, l’insatisfaction corporelle et la faible estime de soi, liées à l’idéal de minceur et de performance promulgué dans notre société, peuvent conduire les individus à des diètes restrictives laissant place par la suite à des compulsions alimentaires. Au niveau psychopathologique, les personnes souffrent aussi souvent de symptômes anxio-dépressifs ce qui les conduit à une mauvaise adaptation et régulation du stress et des émotions.
D’autres modèles explicatifs nous aident à comprendre ce trouble alimentaire. En premier lieu, la restriction alimentaire (Polivy & Herman, 1985) est un mécanisme qui conduit les personnes à contrôler leur alimentation de façon restrictive afin de contrôler leur poids et leur apparence corporelle. Il s’agit d’une restriction cognitive car les individus mettent en place des stratégies mentales pour ignorer leur faim et suivent des croyance rigides sur des interdits alimentaires.
En deuxième lieu, le modèle échappatoire peut être considéré comme une stratégie d’évitement dans laquelle les personnes se détournent de leurs sensations, états émotionnels et conscience de soi en se focalisant sur l’alimentation. En tant que stratégie d’évitement il s’agit d’un moyen de réguler les affects négatifs afin de ne pas les ressentir et les rendre existant en soi.
Comme nous pouvons l’observer dans notre pratique clinique, les personnes expriment très fréquemment un cercle vicieux se traduisant par le fait de ressentir de fortes émotions négatives qui provoquent une pulsion et une envie irrépressible de faire une crise alimentaire. Cette crise alimentaire a pour effet d’apaiser les tensions et de retrouver un équilibre psychique sur l’instant. Pour autant, par la suite les personnes ressentent un fort sentiment de culpabilité et de honte réactivant ainsi des émotions et tensions négatives et ainsi de suite. C’est au travers de ce cercle vicieux que nous parvenons avec la personne à comprendre son trouble alimentaire et lui proposer une prise en charge.
La prise en charge psychologique à la clinique
La première rencontre, un temps pour l’évaluation. Dans ma pratique clinique, ce qui est important d’appréhender lors de la première rencontre c’est l’univers psychique et social de la personne, son environnement, sa personnalité ainsi que ses habitudes de vie. En effet, si la personne consulte à la clinique c’est que son comportement alimentaire a été repéré comme problématique, soit par un professionnel de santé, son entourage ou encore elle-même.
Nous explorons avec le patient tout d’abord sa demande de prise à charge. Vient-il à sa propre initiative ou à la demande d’un tiers ? Quelle est la problématique principale qui le conduit ici et qui l’a amené à entamer une prise en charge ?
Nous nous arrêterons sur son histoire de vie en retraçant l’origine de la prise de poids, les évènements de vie ou les facteurs qui ont enclenché un comportement alimentaire pathologique. À travers cela, nous questionnons ensemble les habitudes alimentaires, la présence ou l’absence de comportements compensatoires, les situations anxiogènes et les difficultés présentes dans le quotidien et qui pourraient être source de fragilisation. Nous amenons le patient à parler de son parcours au niveau de son poids, les variations pondérales, les tentatives de pertes de poids, les diètes restrictives et les échecs. Il est pertinent d’évaluer avec le patient sa gestion émotionnelle dans la façon dont il vit, ressent et régule ses états mentaux et ses affects et l’impact de ceux-ci sur son comportement alimentaire. Nous questionnons ses cognitions, c’est à dire ses croyances vis à vis de l’alimentation, l’image corporelle, la performance ou encore la motivation. À travers cela, la façon dont le patient se sent dans son corps est évaluée, sa satisfaction/ insatisfaction corporelle, son propre regard et celui des autres, l’évitement du miroir, etc. Enfin, il est important dans cette première rencontre d’évaluer la présence de comorbidités psychiatriques telles que les troubles de l’humeur, les troubles anxieux et la consommation de substances. Je porte un intérêt tout particulier au travail sur l’estime de soi, la confiance en soi et l’affirmation de soi comme étant des éléments inhérents à la problématique des patients.
Tout cela nous permet ainsi d’explorer avec le patients les préoccupations qu’il porte pour le poids et l’apparence corporelle et les retentissements dans sa vie au quotidien. Dans un prolongement de cette première rencontre, nous fixons ensemble des l’objectifs thérapeutiques et un plan de traitement.
Le traitement, un suivi psychothérapique à deux. Dans ma pratique clinique, ma démarche psychothérapique s’appuie sur une approche psychodynamique et cognitivo-comportementaliste. Je travaille en coconstruction avec le patient sur la régulation émotionnelle, ses systèmes et schémas de pensées ainsi que ses comportements tout en sachant regarder en arrière dans son histoire de vie.
Nous travaillons aussi sur une dimension psychoéducative en traitant des questions de l’anxiété, des émotions, de la restriction cognitive, du fonctionnement négatif des diètes, etc.
Il s’agit d’un travail en concordance direct avec la prise en charge des nutritionnistes et qui permet d’accompagner le patient à s’orienter vers une éducation nutritionnelle, une thérapie de la pleine conscience (mindfullness) et une alimentation intuitive. Dans ce traitement psychothérapique, le patient et moi travaillons ensemble à comprendre pourquoi le comportement alimentaire est pathologique et quelle place prend-il dans son histoire. Le surpoids et l’obésité sont des symptômes dont nous avons besoin de comprendre le sens. Il s’agit d’un suivi au long cours qui peut s’avérer demandant tant sur le plan réflexif qu’émotionnel et qui implique le patient dans une introspection, une recherche de ses forces et de ses ressources pour engager un changement.
Un défi à relever
En entamant une prise en charge, les personnes souffrant d’hyperphagie boulimique peuvent se rendre compte qu’elles ne sont pas seules à vivre cette problématique. Cette prise de conscience peut être un élément de soulagement et de sentiment de reconnaissance. Il est donc nécessaire de consulter un professionnel de santé lorsque l’on remarque que nos préoccupations pour le poids et l’apparence sont tellement importantes qu’elles occasionnent de nombreuses difficultés dans notre quotidien. Consulter est une première étape afin de se placer acteur de sa vie et de sa santé mentale, physique et sociale.